Réduire l’impact écologique des artistes : retour sur le dispositif des Résidences vertes

Article publié le 12 septembre 2025

Temps de lecture : 4 min

Se mettre au vert pour réfléchir à l’empreinte écologique de son activité et expérimenter de nouvelles pratiques, voici ce que proposent les Résidences vertes, récemment lancées par le Ministère de la Culture. Retour sur l’année pilote du dispositif avec l’un des collectifs d’artistes participants, Disnovation.org. 

Le dispositif Résidences vertes et Disnovation.org semblaient faits pour s’entendre. D’un côté : une résidence de 6 à 12 mois permettant à un·e artiste du spectacle vivant ou des arts visuels de s’engager dans une transformation écologique de ses activités. De l’autre : Disnovation.org, un collectif fondé en 2012 par Nicolas Maigret et Maria Roszkowska. D’abord reconnu pour ses projets axés sur la critique des technologies dominantes (militaires avec War Zones, celles de surveillance avec Profiling the Profilers ou les guerres culturelles en ligne avec Online Cultural Wars), Disnovation pivote en 2018. Depuis il s’intéresse aux « liens entre écologie, énergie et économie, comme un trio qui permet de comprendre les grands enjeux de société liés aux questions environnementales », présente Nicolas Maigret. Ils ont ainsi établi un bestiaire des créatures hybrides de l’anthropocène, ont testé des modèles économiques alternatifs dans Post Growth Prototypes et ont quantifié l’apport économique des écosystèmes dans Life Support System. Une réorientation sur le fond, mais aussi sur la forme. « On s’est posé pas mal de questions et on a introduit beaucoup de changements dans nos pratiques, retrace Nicolas Maigret. On produit des œuvres pensées pour être facilement reproduites à différents endroits, facilement présentables et appropriables, on ne se déplace pas à chaque fois qu’on nous invite… »

Life Support System. © Disnovation.org

Collaboration, restitution et documentation

Lorsque le ministère de la Culture invite le collectif d’artistes à participer à cette année zéro de leur dispositif Résidences vertes, à raison d’une aide financière de 20 000 euros, il s’empare du projet et forme un groupe de travail pour mener une enquête de terrain. Pour s’assurer de la solidité scientifique, ils choisissent Cédric Carles, fondateur de l’Atelier 21, structure conçue pour promouvoir des alternatives énergétiques dans une approche collective et populaire. Pour le lieu d’accueil, ils collaborent avec l’Espace Multimédia Gantner alors dirigé par Valérie Perrin. « Il s’intéresse depuis longtemps aux questions d’impact du numérique et de transition écologique du numérique et leur position sur la conservation des pratiques expérimentales et numériques est unique en France – leur fond d’œuvres d’art et nouvelle technologie est le seul de cette ampleur en France », présente Nicolas Maigret. Cette forme collective pour porter le projet de Résidence verte est d’ailleurs soutenue par la Direction générale de la création artistique (DGCA) puisque l’appel à projets prévoit d’associer à l’artiste un lieu d’accueil et un professionnel de la transition écologique, co-porteurs du projet.

Sur le processus créatif, le collectif a carte blanche. L’appel à projet précise que la « recherche ne donne pas obligatoirement lieu à une production artistique mais doit faire l’objet d’une restitution sur le territoire où elle se déroule et être documentée ». Une liberté créative à la fois rare et précieuse, précise Nicolas Maigret. « Dans la plupart des appels à projets, il y a beaucoup d’attentes de projets finis, de contreparties. Ici, la proposition était très ouverte et axée sur l’accompagnement d’une période expérimentale. On était dans un rapport de confiance vis-à-vis du parcours, de la capacité et de la volonté des artistes de mener leurs expériences. C’est un processus très rare et c’est ce qui a permis qu’on avance sur un projet aussi ambitieux. »

Wim Cuyvers en compagnie de Clémence Seurat et Maria Roszkowska © Disnovation.org

Bifurcation et audiovisuel bas carbone

Pour cette année de création et d’expérimentation, Disnovation.org choisit de mener une enquête au long cours et de partir à la rencontre d’artistes, designers, makers, architectes qui ont mené des bifurcations. « Ce sont des gens exemplaires qu’on a déjà rencontrés via nos expositions, conférences, expériences de vie et qui nous permettent d’avoir une expertise forte sur des parcours de bifurcation radicaux. » Parmi cette galerie de portraits, Kris De Decker, ancien journaliste science et technologie dont la frustration face au techno-positivisme l’a poussé à créer Low Tech Magazine – site par ailleurs alimenté par de l’énergie solaire, et « se retrouve parfois hors-ligne », est-il précisé en première page du magazine. On y trouve aussi Vesna Manojlovic, qui travaille à l’organisation décentralisée et bas carbone d’événements de la communauté hackers ou Jay Jordan, performeur·se, activiste et éducateur·rice, résident·es à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et co-auteur·e du livre Les Sentiers de l’utopie. « Ces personnes ont développé des solutions et des manières de répondre à leurs dilemmes existentiels liés à ces questions de transition, de sortie de l’hyperconsommation, du capitalisme et du monde marchand de la culture », résume Nicolas Maigret.

Kris De Decker en interview pour la Résidence verte de Disnovation.org. © Disnovation.org

Ces témoignages, réunis dans une « anthologie de trajectoires obliques », seront présentés courant 2026 à travers une installation, un recueil de textes mais aussi « une chorégraphie d’événements HTML et CSS » bas carbone, glisse Nicolas Maigret. Le collectif s’est associé à Sarah Garcin, programmeuse adepte des pratiques frugales, pour développer un format audiovisuel bas carbone. Le prototype de cet outil de création est encore en développement et sera partagé en open source, assure Nicolas Maigret. « Entre 50 et 80% de l’empreinte web est liée au streaming vidéo, rappelle l’artiste. Que ce soit YouTube, les réseaux sociaux, Netflix, webconférence… tout cela représente la partie majoritaire du trafic de données. »

La DGCA vient de clôturer son appel pour l’année 2025-2026, avec toujours 20 000 d’aides à la clé. Résultat du·de la lauréat·e en mars 2026. Et pour la prochaine promo, Nicolas Maigret n’a qu’un souhait : « j’espère qu’il sera laissé dans les prochaines années autant de liberté créative et d’espace d’expérimentations pour les artistes ». Le message est passé.

Elsa Ferreira 

Elsa Ferreira

Journaliste depuis une dizaine d’années, Elsa est spécialisée en technologie et culture. Adepte des contre-cultures, elle observe et décrypte l’impact des technologies sur la société. Elle collabore régulièrement à des magazines tels que Makery, Pour l’Éco ou L’ADN.