BOOK CLUB #1

Article publié le 16 septembre 2025

Temps de lecture : 6 min

Comment le numérique impacte-t-il la création artistique ? Réponses dans des livres récemment parues. Notre sélection en quelques mots : Intelligence artificielle générative, morts technologiques, relations Art-Science, nouvelles altérités

Les images pyromanes

Théorie-fiction des IA génératives
Pierre Cassou-Noguès et Gwenola Wagon
UV éditions, 2025

La génération d’images par IA suscite un engouement qui, sans surprise, qui répond à une pulsion, l’accomplissement d’une jouissance irrépressible, contagieuse et fondée sur une production inconsciente. “L’art pyropictomane, conscient de lui-même, est au contraire la mise en abîme de ce processus…”. Sur la base des images produites à l’occasion de l’incendie de la Teste-de-Buch et de la dune du Pyla en 2022 (le résultat sur place laisse sans voix), l’art pyropictomane explore la voie de la catastrophe dans une version élargie des productions hollywoodiennes. Cassou-Noguès et Wagon font le parallèle avec l’œil de l’esprit “qu’invoquaient les artistes romantiques comme William Blake ou Caspar David Friedrich et qu’ils opposaient à l’œil matériel. Il ne s’agit pas en effet, avec l’IA, d’imiter platement la nature telle qu’elle apparaît à l’œil matériel. (…) L’IA, entraînée sur toutes les images humaines et qui en livre une sorte d’essence, représenterait donc (…) non plus ce que l’artiste voit devant lui mais ce qu’il voit en lui.”. Pierre Cassou-Noguès est philosophe et écrivain. Gwenola Wagon est artiste et chercheuse. Associant productions d’images génératives, fictions et analyses philosophiques pas toujours aisées à suivre pour ce qui me concerne, ils offrent une lecture originale de ce phénomène pyrotechnique, loin des poncifs qui font le sel des commentaires au quotidien. Comme le dit Thomas VDB sur Radio Nova, “je vous demande de vous arrêter de parler de l’IA”.

LB

The Internet of dead things


Sous la direction de Benjamin Gaulon
Auto édition, 2025

À l’heure où nos déchets électroniques s’accumulent, The Internet of Dead Things, dirigé par l’artiste Benjamin Gaulon (alias Recyclism), interroge nos rapports au progrès et à l’obsolescence à travers nos objets quotidiens, notamment l’iconique Minitel. On y découvre comment ces anciens appareils reprennent vie, détournés en œuvres d’art, instruments pédagogiques ou objets militants. Le livre articule une réflexion sur la souveraineté technologique, la maintenance et la « perma-hybridité », une manière de conjuguer passé et futur dans un même objet. La diversité des voix artistiques, scientifiques ou militantes – Alessandro Ludovico, Teresa Dillon, Régine Debatty, Garnet Hertz, Janet Gunter, Geert Lovink – donne à ce travail un relief critique de haute qualité. On retiendra notamment les récits de Nicolas Nova (une analyse qui résonne avec son essai Écologies du smartphone paru en 2022) ou la perspective historique de l’artiste Jérôme Saint-Clair. Loin d’un simple exercice de rétro-geekerie, cette publication interroge la place des « morts technologiques » dans nos sociétés hyper connectées et propose, en creux, une autre idée du progrès (moins rapide, plus durable, attentive à la mémoire des objets) qui fait écho au permacomputing récemment évoqué dans HACNUMedia. Un livre pour qui veut penser – et pas seulement consommer – la technologie.

AC

Arts, sciences, technologies


Défis à la recherche-création
Vilém Flusser
Les presses du réel-ArTeC, 2025

Yves Citton et Marc Lenot ont réuni une collection de textes et conférences de 1975 à 1990 du philosophe et écrivain d’origine tchécoslovaque Vilém Flusser (1920-1991) sur la recherche-création, l’école du futur, l’art sociologique et l’exil. Mis en perspective par les deux critiques/historiens/auteurs eux-mêmes, les propositions sont riches d’enseignements même si elles semblent parfois distantes de nos ou de mes préoccupations, je pense surtout à la partie consacrée à l’art “sociologique”. En revanche, et ayant en tête les dates de ses textes et interventions sur les relations entre arts et sciences, sur la transmission du savoir et de la création, sur la place du public (« médiactivisme »), sur l’IA, et sur l’écologie politique, c’est remarquable de pertinence au regard de nos enjeux professionnels. Étant collectivement et personnellement complètement impliqué dans les relations arts, sciences et technologiques (dont on parle toujours contrairement à ce qui est écrit sur le site des presses du réel), “entendre” Vilém Flusser formaliser il y a plus de 40 ans ce que l’on cherche à produire est aussi exaltant que légèrement déprimant. Qu’il en faut de la patience et de la distance pour ne pas perdre de vue des objectifs encore incertains mais dont on connaît le potentiel.

LB

The shape of the circle in the mind of the fish


Lucia Pietroiusti & Filipa Ramos
Edition Serpentine – Hadj Cantz, 2025

Lucia Pietroiusti et Filipa Ramos signent un ouvrage qui prolonge le cycle de rencontres art-écologie initié à la galerie Serpentine (basée à Londres) depuis 2018. Ce livre compile les voix d’une centaine d’artistes, de scientifiques et d’auteur·rices, esquivant autant que possible tout anthropocentrisme. Les propos qui y sont développés : quelles formes de vie existent sur Terre ? Que signifie “intelligence” ? Comment communiquer avec des êtres vivants imperceptibles à l’œil nu ? Au fil des (200) pages, réparties en 5 chapitres – mention spéciale pour le dernier dédié à la spiritualité à l’heure du numérique (également le thème de la dernière édition du festival Scopitone) – on découvre des créateur·rices issu·es de toutes disciplines, du design aux arts plastiques, en passant par la performance sonore, l’architecture ou la vidéo. Les technologies sont au cœur de nombreuses propositions à l’image du travail de l’artiste finlandaise Jenna Sutela qui détourne un modèle d’IA pour dialoguer avec des bactéries (nimiia vibié)… Tous ces récits n’illustrent pas seulement la crise écologique que traverse notre époque. Ils expérimentent d’autres manières de vivre et de penser le monde. L’ouvrage laisse finalement l’impression d’un manifeste artistique et ouvre la voie à une nouvelle approche créative : un paradigme où l’humain cesse d’être seul au centre du cercle.

AC 


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