Rêves immersifs ou drones autonomes ? Le virage militaire de la XR

Article publié le 23 septembre 2025

A travers ces éditos, HACNUMedia donne la voix à ceux·celles qui sont au cœur de la création numérique. Une parole libre et critique…

L’actualité récente a levé le voile : pendant qu’en Europe on rêve encore d’un métavers citoyen et d’immersions culturelles, Meta équipe déjà l’armée américaine. L’annonce de la collaboration entre Mark Zuckerberg et Palmer Luckey (le fondateur d’Oculus), aujourd’hui dirigeant d’Anduril, un acteur en forte expansion dans la défense, marque un tournant. Ce rapprochement illustre la continuité entre l’industrie du divertissement et celle de la guerre. Les promesses d’un univers immersif dédié à la créativité et à la sociabilité glissent imperceptiblement vers le champ de bataille. Fini les avatars souriants et les open-spaces virtuels : place aux technomanciens surarmés, capables de piloter des systèmes autonomes via des interfaces XR et des modèles d’IA militaires. Ce qui était vendu comme un futur de rencontre et de jeu devient un outil de contrôle et de combat.

Ce backlash militaire n’est pas anecdotique. Comme souvent dans l’histoire des technologies, l’imaginaire de la guerre capte et détourne ce qui pouvait être un espace d’émancipation. La XR, censée ouvrir nos perceptions, se transforme en simulateur de combat.

Et ce n’est pas seulement une question d’usages : c’est aussi une question de données. Chaque geste, chaque interaction produite en XR, qu’il soit lié au divertissement ou à la création artistique, alimente d’immenses bases d’entraînement. Chez Meta par exemple, nos corps, notre intimité et nos imaginaires deviennent des matériaux bruts. Ces données, collectées sous prétexte d’améliorer nos expériences, servent aussi à calibrer des modèles destinés au militaire : simulation de comportements, anticipation des mouvements, optimisation des réactions. Nos élans créatifs nourrissent ainsi des logiques de contrôle.

Dans ce contexte, la figure de l’artiste s’efface derrière celle du créateur de contenu. Sous l’effet de l’industrialisation du secteur, l’artiste se retrouve sommé·e de produire dans un cadre normé pour les plateformes, d’alimenter des flux calibrés pour l’attention et la captation de données. L’art devient contenu, l’expérience devient métrique. Ce déplacement neutralise la portée critique et poétique des œuvres, absorbées dans l’économie du divertissement, une économie dont les retombées, encore une fois, profitent aussi aux usages militaires.

C’est pourquoi la place de la création reste essentielle. Car l’art ne se réduit pas à un gadget immersif : il détourne, interroge, met en crise. Face à la militarisation rampante et à la réduction des artistes en “content providers”, il faut préserver des zones de friction, des espaces poétiques et politiques où l’expérience reste humaine, fragile, subjective.

Créer en XR aujourd’hui, ce n’est pas seulement explorer un nouveau médium. C’est résister à l’industrialisation de nos perceptions. C’est affirmer que d’autres usages sont possibles, que nos regards et nos corps ne doivent pas être réduits à des cibles à entraîner ou des flux de données exploitables.

La XR n’est pas neutre : c’est une machine à fabriquer du sensible. À nous de choisir ce que nous voulons y inscrire : l’ombre des champs de bataille ou la lumière d’autres mondes possibles.

Edito par Adelin Schweitzer

Vous êtes artistes, professionnel·les de la culture et des industries culturelles et créatives… et vous souhaitez partager un regard critique ? Contactez nous.

Adelin Schweitzer

Artiste contemporain, metteur en scène et performeur français, Adelin Schweitzer est reconnu pour ses détournements technologiques et sa pratique iconoclaste de la XR. Ses œuvres prennent à contre pied l’idéologie techno-solutionniste et les mutations qu'elle entraîne sur le corps social et politique. Sa dernière création, Le test de Sutherland, interroge notre rapport au réel et à la virtualité, brouillant les frontières entre fiction et expérience directe, et questionne la place de la créativité face aux technologies dominantes.