État des lieux sur l’interopérabilité des données dans le spectacle vivant

Article publié le 9 décembre 2025

Temps de lecture : 8 minutes

Alexa Steinbrück - Creative Commons

En septembre, le TMNlab publiait le rapport “Interopérabilité des systèmes d’information dans le spectacle vivant”, en partenariat avec des éditeurs de logiciels, le ministère de la Culture et des lieux d’accueil de spectacle vivant. Retour sur cet état des lieux inédit et sur les pistes évoquées pour le secteur.

On connaissait l’interopérabilité pour les réseaux sociaux – l’idée, par exemple, de quitter X, sans perdre sa liste d’abonnés – ou pour les plateformes de streaming – l’idée, par exemple, de quitter Spotify, sans perdre ses playlists. Pour les professionnel·les de la culture, cette interopérabilité est un enjeu de taille. Dans un rapport publié en septembre 2025, le TMNlab se penche sur le sujet et pose les premières pierres pour définir des nouveaux standards et faciliter la coopération entre les services et les lieux. Le sujet est technique, mais c’est le cœur d’expertise du TMNlab, association vigie des transformations numériques dans le spectacle vivant et communauté apprenante. “La question des données est au centre de notre activité”, présente Anne Le Gall, déléguée générale et cofondatrice. Dans un monde où la mise en données de nos environnements (ou “datification”) transforme nos pratiques, l’enjeu de l’interopérabilité, soit la possibilité pour les données de circuler entre plusieurs systèmes informatiques, est essentiel.

Ce rapport « interopérabilité des systèmes d’information dans le spectacle vivant » donne donc la parole aux structures culturelles et aux éditeurs pour comprendre les usages, les défis rencontrés et proposer des pistes d’actions. L’étude a été menée en partenariat avec les éditeurs de solutions techniques (GHS, Heeds, IT4Culture, Mapado, Supersoniks, Movinmotion, Ressources SI) et le Ministère de la culture, sous la direction du TMNlab.  

Une multitude de flux de données

Premièrement, de quelles données parle-t-on ? “Il s’agit des systèmes d’informations du spectacle vivant, répond Anne Le Gall, c’est-à-dire, les données maniées par les fonctions supports” : des données personnelles (connaissance des publics), financières (comptabilité), d’activité (programmation, planification, RH, billetterie…), données techniques (planification des équipes…). “Les personnes interrogées ont également fait remonter des besoins sur le suivi bâtimentaire ou l’évaluation des empreintes écologiques”, rapporte la déléguée générale. Les industries créatives et culturelles regroupent une multitude d’acteurs et donc une multitude de flux de données : les déclarations sociales, de droits (SACEM, SACD, etc.), les remontées aux associations professionnelles, aux tutelles… “toutes ces remontées sont de la production de données externes”, explique Anne Le Gall.

Bien-être au travail et coopération professionnelle

Si le fonds du sujet est technique, les perspectives sont stratégiques. “Il s’agit de mettre en place une connaissance commune et des moyens d’action à partir de cela”, résume Anne Le Gall. À commencer par le bien-être au travail. “Un des moteurs principaux est celui de l’amélioration des conditions de travail”, pose la directrice. En bloquant la circulation des données, les tâches sont alourdies par la multiple saisie. Celles-ci sont perçues comme extrêmement chronophages par les répondant·es à l’étude et ce temps perdu dans des répétitions qui n’ont pas de sens est un critère de souffrance.

Autre objectif : accéder à une meilleure compréhension du paysage culturel et à une meilleure coopération de la filière. Structurer les données permet par exemple de mettre en place de la mutualisation professionnelle et ouvre à une meilleure visibilité des spectacles vivants par les publics. Cela permet également un meilleur aperçu de la circulation des œuvres par les institutions. “Pour le moment, un spectacle programmé sur plusieurs lieux est traité de manière indépendante par chaque lieu. Or, structurer les données de manière agrégée renforce la découvrabilité”, résume Anne Le Gall. Un constat confirmé par une étude québécoise publiée en octobre.

L’interopérabilité permet également de gagner du temps, souligne le rapport. Ainsi sont évoqués ces cas concrets :

  • Annuaire des œuvres comme c’est le cas au Québec (gain de temps dans la diffusion et le booking) ;
  • Échange des fiches techniques de lieux (gain de temps dans l’étude de la possibilité d’accueil d’un spectacle) ;
  • Base d’intermittents partagée (gain de temps dans les constitutions d’équipes) ;
  • Partage d’informations administratives des structures (gain de temps dans l’établissement des contrats).                   

Standards et normes

Le principal frein au développement de cette interopérabilité est le manque de standard, c’est-à-dire appliquer les mêmes normes de données à tous les systèmes pour faciliter les échanges. “Ces standards n’existent pas”, tranche Anne Le Gall. Une fois des standards établis, il faut aussi que les éditeurs dotent leurs logiciels d’API, une interface de programmation d’application qui permet d’interconnecter et faire dialoguer deux logiciels ou services, et donc de faire circuler les données. “Les éditeurs qui ont répondu à notre enquête sont pour la plupart API enthousiastes. Mais ce n’est pas le cas de la plupart des éditeurs, qui sont souvent dans des postures de rétention d’information.

Dans son rapport, le TMNlab propose de nombreuses pistes de travail pour atteindre une meilleure interopérabilité dans le secteur culturel. Parmi elles :

  • D’abord, construire des outils d’auto-diagnostic pour auditer et analyser les environnements numériques des structures et prioriser les zones d’action ;
  • Faire monter en compétence les équipes internes pour mieux s’approprier le sujet, notamment sur l’évaluation de l’activité ;
  • Créer des standards sur la description des œuvres, un sujet sur lequel le TMNlab travaille avec la Réunion des Opéras de France dans le cadre de son projet CapData Opéra et avec le Ministère de la Culture dans une démarche ouverte lancée en décembre.

Le TMNlab recrute actuellement des structures volontaires pour établir des preuves de concept. Côté éditeurs, les co-financeurs de l’étude se sont engagés ; côté lieux, l’Opéra de Lyon, la Scène nationale Carré Colonnes, le Théâtre du Châtelet ou encore l’Opéra-Comique. Ces acteurs se donnent six mois pour avancer et mettre en place des cas d’usages concrets. “Rendez-vous l’été prochain”, promet Anne Le Gall, pour partager ces informations… et les faire circuler !

Elsa Ferreira

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Elsa Ferreira

Journaliste depuis une dizaine d’années, Elsa est spécialisée en technologie et culture. Adepte des contre-cultures, elle observe et décrypte l’impact des technologies sur la société. Elle collabore régulièrement à des magazines tels que Makery, Pour l’Éco ou L’ADN.